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L’intelligence artificielle et la crainte du remplacement

Il n’est pas de plus grande frayeur que celle de se voir remplacé un jour par une machine. Jusque-là, cette peur concernait surtout les métiers manuels, dans l’industrie ou l’agriculture. Il suffit de regarder l’histoire économique pour constater que l’arrivée des machines, de l’électricité et du progrès technologique a détruit de nombreux emplois.

Et récemment, même les manutentionnaires, qu’on pensait un temps protégés, n’ont pas été épargnés. Un entrepôt automatique moderne nous montre que même le conducteur de chariot élévateur est voué à disparaître.


Nous avons aimé nous convaincre que le progrès était bienfaiteur


Tristement, cela ne nous a jamais vraiment émus. Combien de cadres ou professions intermédiaires commandent chaque jour sur Amazon ou d’autres plateformes sans se demander si, derrière la performance du système, un emploi a été supprimé. Même parmi les plus empathiques d’entre nous, l’exigence de l’instantanéité et du prix prime. Et pourtant, pour un euro de plus, peut-être qu’un emploi aurait pu être maintenu.

Nous préférons croire ce que nous racontent économistes et analystes : que ces postes ont été remplacés par des emplois plus qualifiés, que le progrès profite à tous. Les explications de Fourastié, de Schumpeter et la destruction créatrice… rien ne résiste à cette foi dans le progrès. C’est le prix du développement.


Mais l’IA s’attaque désormais aux cols blancs


Aujourd’hui, l’intelligence artificielle ne change pas les règles du jeu. Elle change les joueurs et touche désormais les cadres de tous les secteurs (surtout du tertiaire), les employés de bureau, les créateurs de contenus, ceux qui écrivent des mails, des rapports, des PowerPoints. Autant de tâches routinières mais longtemps protégées par leur complexité ou leur "valeur ajoutée".

En quelques mots, un simple « prompt » peut générer un premier texte, souvent de bonne qualité. Fini la page blanche, fini les réunions pour trouver l’ordre des slides, fini les heures passées à formuler un e-mail délicat ou à donner un ton juridique à un document. Tout cela, une machine peut le faire, et vite.


La tentation pourrait être à l’assistance discrète


Bien sûr, on dira que cela consomme de l’énergie, que ce n’est pas très éthique de déléguer à une machine. Mais soyons honnêtes : c’est tout simplement plus facile. On l’utilise, on corrige, on réécrit, on ajoute sa patte.. et on ne dit rien.

La vraie peur, ce n’est plus d’utiliser l’IA, c’est d’être démasqué. Il n’est pas encore très "tendance" d’assumer un texte bien écrit, mais co-rédigé avec une machine. Pourtant, cela devient la norme. Tout le monde le fait ou le fera bientôt.


Faut-il avoir honte d’être accompagné de l’IA ?


Quelle culpabilité devrions-nous ressentir ? Celle de voir des emplois jusque-là épargnés devenir menacés ? Peut-être. Mais alors, il faudrait aussi s’interroger : avons-nous eu un mot pour les manutentionnaires et tous les autres métiers en voie de disparition ? Le progrès finit toujours par toucher tout le monde.

Et la culpabilité d’avoir été « aidé » ? Faut-il se sentir coupable parce que ce n’est pas entièrement nous qui avons écrit un texte ? J’ai moi-même écrit plusieurs ouvrages, techniques, laborieux, qui ont connu leur succès. Si je devais les refaire aujourd’hui, j’utiliserais l’IA. Sans honte.

Relire, corriger, ajouter ma vision, mon style, mes émotions — cela ne me semble pas tricher. Même pour corriger une faute de grammaire, cette technologie est utile. Et franchement, qui n’a pas un peu oublié les subtilités de la syntaxe française ?

 

Plutôt que de craindre cette avancée, regardons devant nous


Ce n’est pas de la culpabilité qu’il faut avoir mais de la lucidité. L’IA va transformer nos emplois, notre manière de produire et de consommer les textes. Mais je continue de croire en l’intelligence humaine. À force de trop de contenus — et c’est déjà le cas — nous allons saturer.

Nous croulons déjà sous les slides, les rapports, les réunions interminables. Les lisons-nous ? Il est probable qu’il y en ait encore plus. Mais il est aussi possible que l’humain s’adapte. On évitera de perdre du temps avec des tâches inutiles. La profusion tuera peut-être elle-même la profusion.


Et l’emploi dans tout ça ?


Les études (comme celles de Microsoft sur Copilot) nous rassurent : l’IA ferait gagner 1 à 2 heures par semaine aux salariés des grands groupes. C’est énorme en volume cumulé, mais insuffisant pour justifier des vagues de licenciements. Les entreprises ont vite compris : ces heures gagnées doivent être réinvesties ailleurs, dans des tâches à valeur ajoutée.

Même Microsoft nous assure que les salariés sont heureux d’utiliser ces outils. Peut-être est-ce un peu biaisé. Mais cela indique que nous ne sommes pas (encore) face à un chômage de masse. Nous vivons une mutation technologique, pas une extinction.


Un soulagement personnel


Personnellement, utiliser l’IA pour générer un premier jet me soulage. L’angoisse de la page blanche, je l’ai vécue pendant des années de journalisme. Aujourd’hui, elle a disparu. Et peut-être que, rien que pour ça, j’ai gagné une ou deux années de vie.


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L’intelligence artificielle et la crainte du remplacement
Agence DEEP, Didier Vitrac 10 avril 2025
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